jeudi 5 juillet 2007

"Vallauris plage" de Nicolas Rey




Chapitre 1.



Je m'appelle Frank Bastide. Tout le temps de la promenade, j'ai fait le maximum pour me souvenir de ce truc appris en classe, comme quoi le ciel se trouve par-dessus le toit.
Aucun mot ne m'est revenu. Gosse, je connaissais ce poème par cœur. Pas assez de ciel, je me suis dit. J'ai déplié une minuscule serviette de bain dans ma cellule parfumée au détergent. Je me suis allongé sur le dos pour une séance de gymnastique. J'accomplissais tous les jours la même chose à heure fixe. Un hommage au côté militaire de l'établissement.
Mon nouveau camarade, présent depuis trois semaines, m'a regardé faire. Il avait assassiné sa belle-famille, je crois, et quelques flics qui avaient voulu s'interposer. Il était assis sur le lit d'en haut, les pieds dans le vide, rêvant d'un bon moyen pour se trancher les veines. Je suis allé prendre une douche avec d'autres vieux enfants : gras, tatoués, poilus, squelettiques. A mon retour, c'était la mauvaise heure. Celle des hommes pendus aux barreaux, qui hurlent en direction du monde libre des prières à leur femme, à leur maîtresse, à leur petite fille. Ils voudraient qu'on leur pardonne. Ces hommes ne m'aimaient pas beaucoup. Ils n'approuvaient pas vraiment la manière dont je m'étais comporté. Les braqueurs étaient respectés.
On dépliait le tapis rouge pour les propriétaires de bars à putes. Ce n'était pas mon cas. On m'a proposé le parloir. J'ai accepté. Au parloir, on nageait dans le rythme slave du sexe, des coups montés et des ultimes tentatives de réconciliations. Au parloir, j'évitais la télé minuscule, le souvenir du sang sur mes fringues et ce visage presque mort qui me fixe parce qu'il ne comprend pas alors que c'est si simple de savoir pourquoi nous faisons des choses terribles. J'ai bien regardé sa coiffure stricte. Il y avait les années d'études, les compromis, les nuits sages afin d'accéder au métier d'avocat. La pauvre était tombée sur moi. Intérieurement, j'ai pris sa défense. J'imaginais l'horreur de ses jours, les horaires à respecter, l'énergie qu'elle mettait à être présentable, le combat continuel pour l'obtention d'un week-end normand avec son amoureux. La prison comprenait de nombreux avantages. Par exemple, on ne devait plus rien à personne. Par exemple, on pouvait se concentrer sur un philosophe roumain sans devoir se rendre au Franprix avant dix-neuf heures. Je ne savais rien de cette juriste. Je ne lui avais été d'aucune aide dans son plaidoyer. Simplement, j'aimais bien la regarder. C'était comme observer une fille de la haute au milieu d'une décharge. Elle semblait calme et digne malgré l'odeur âcre, la violence des rapports affectifs propre à ce lieu. Cela me changeait des abdominaux, des cris et du philosophe roumain, au final, assez défaitiste. Elle avait renoncé à me convaincre. Elle voulait comprendre. Parlait fort. S'appliquait sur chaque syllabe. Promettait de garder le secret. Elle avait des cigarettes. J'ai décidé de sourire. Je lui ai demandé si, par hasard, elle avait également quelques heures à me consacrer. Elle est allée voir un gardien. Elle est revenue avec, sur le visage, un masque de fermeté tout à fait charmant. Elle m'a demandé " encore juste une minute pour déprogrammer un rendez-vous ". J'avais le temps. Quinze ans ferme.